Le SPASFON (phloroglucinol), vous connaissez bien sûr ! Qui n’a pas reçu, au cours de sa vie ce comprimé rose fuchsia, dragéifié façon bonbon, dont le nom à lui seul semble vous soulager du « spasme ». Il y a aussi la version lyoc pour les semi-urgences (« un pic plasmatique atteint en 15-20 minutes » nous informe la monographie) et une version injectable, « à administrer au moment de la crise ». Quant au suppositoire (on reconnait bien là un médicament français) quelle ne fut pas ma surprise en me plongeant dans la monographie (dont l’intégralité tient sur une page) de constater l’absence de rubrique « pharmacocinétique ».
Mais alors que sait-on sur ce médicament dont il s’est vendu en 2021 pas moins de 25 millions de boites (princeps et génériques), principalement à des femmes (près de 70 % des prescriptions) pour des douleurs de règles. Quel est son mécanisme d’action ? Quelles sont les données scientifiques disponibles pour justifier d’une telle utilisation ?
C’est à ces question qu’a souhaité répondre Juliette Ferry-Danini spécialisée en philosophie de la médecine au travers d’une rigoureuse enquête scientifique, publiée dans un livre largement relayé sur les réseaux sociaux et dans les médias et intitulé « Pilules Roses, De l’ignorance en médecine ».
Le livre qui se présente comme une enquête épistémologique et éthique rondement menée se lit d’une traite.
En retournant aux origines du médicament, dans les années 1960 (à l’époque des visa, ancêtres de nos actuelles AMM), il apporte dans sa première partie des éléments historiques et économiques précieux pour comprendre la place occupée par le phloroglucinol sur le marché français. Tout commence dans les années 50 quand le laboratoire Lafon, créé par le pharmacien français Louis Lafon développe un médicament nommé VITBIL destiné à calmer les douleurs d’origine biliaire (typiquement féminines), à base d’aubier du tilleul. Quelques années plus tard, un chercheur du laboratoire découvre le phloroglucinol, principe actif de SPASFON, dans l’écorce de cet arbre. Et c’est en 1964 qu’est commercialisé SPASFON, qui devint rapidement le produit de référence parmi les antispasmodiques.
En outre, l'autrice fournit des repères indispensables pour expliquer ce qu’est ou doit être la recherche scientifique, « essais cliniques randomisés, « evidence base medecine » mais aussi des notions d’éthique au travers de l’équipoise clinique*. A ce jeu-là, le phloroglucinol ne fait pas le poids. Les données des essais cliniques sont quasi inexistantes : cinq essais cliniques randomisés au total pour l’ensemble des indications (dont un en chinois jamais traduit) et le plus souvent aux résultats négatifs. L’un des rares essais qui conclut à une certaine efficacité du phloroglucinol (dans l’indication côlon irritable) a comme dernier auteur, un scientifique de la firme qui commercialise le médicament…. Juliette Ferry Danini en profite pour définir le biais de publication et l’intérêt pour les firmes de ne pas publier les études négatives, notion parfois oubliée. Quant à l’indication règles douloureuses, aucun essai randomisé n’a jamais été publié ! Dans ce contexte, l’autrice questionne l’inertie des autorités de santé qui n’ont à ce jour eu comme réponse qu’un déremboursement dans certaines indications.
Enfin, le livre se veut un essai de philosophie féministe (cela pourrait en effrayer certains, moi la première). On pourrait craindre un livre revendicateur ou victimaire ; il n’en est rien. L’ouvrage questionne très justement et sans crier au scandale la douleur des femmes. Est-elle bien prise en considération ? La prescription abusive de phloroglucinol n’est-elle pas une réponse trop simple et expéditive à des douleurs réelles, parfois invalidantes mais dont les hommes et la médecine se désintéressent volontiers ? Ce sont toutes ces questions que pose la 2e partie du livre pour aboutir à la notion de placebo et de sa prescription en médecine.
En 1968 le SPASFON est présenté dans le dictionnaire Vidal comme une molécule qui unit pour la première fois l’efficacité à l’innocuité. Il ne « nuit pas » …c’est l’argument avancé encore aujourd’hui par beaucoup (je vous laisse découvrir le Vidal 1968...)
En effet, certains à la question pourquoi le phloroglucinol est-il toujours sur le marché, plusieurs professionnels de santé répondront « parce qu’il a peu d’effet indésirables ». Peu oui... aucun, non assurément ! Gardons-en tête qu’il n’est pas dénué d’effet indésirable parmi lesquels d’exceptionnelles réactions allergiques et des toxidermies rares mais parfois sévères.
D’aucuns diront que prescrire un placebo** peut être utile. A cette réponse Juliette Ferry-Danini répond catégoriquement par la négative et démontre les risques de prescrire un médicament non efficace et dont la seule efficacité éventuelle repose sur une croyance. Pour l’autrice, la prescription d’un placebo (pur ou impur pour le phloroglucinol) n’est jamais un acte anodin. Elle retarde ou nuit à une prescription optimale, elle fait abstraction du consentement éclairé indispensable en médecine et nuit à la relation de confiance soignant/patient au travers d’un acte mensonger.
Quant aux vielles réclames pour le SPASFON qu’elle décrit, mon seul regret est de ne pas les trouver dans le livre pour mieux signifier l’importance du marketing et de la croyance qui entourent la prescription médicale.
Au total je referme ce livre en m’interrogeant sur tous les « petits cousins » du SPASFON. Ne sont-ils pas un certain nombre ces autres médicaments largement prescrits sans preuve réelle de leur efficacité et qui mériteraient d’être décortiqués de la sorte
*équipoise clinique ou incertitude au niveau de la communauté scientifique, définie par Freedman B.
**le terme placebo vient du latin placere (« plaire »)